JOSEP BORRELL, VIRGINIJUS SINKEVIČIUS

 

L’Arctique connaît actuellement des mutations rapides dues au réchauffement de la planète, à une concurrence croissante pour les ressources et aux rivalités géopolitiques. Pour l’avenir de cette région, l’Union européenne a à la fois des intérêts à défendre et une contribution importante à apporter. Nous avons l’intention d’y intensifier notre engagement en faveur du climat, de la coopération internationale, d’un développement économique durable ou encore de notre volonté de ne laisser personne de côté.

Le pacte vert européen fera de l’Europe le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050, tandis que notre engagement juridiquement contraignant de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 fait référence à l’échelle mondiale. Le pacte vert et la nouvelle approche de l’UE en faveur d’une économie bleue durable sont au cœur de la stratégie de l’Union pour l’Arctique. Au nombre de nos principales propositions figurent, outre la mise en place d’une présence permanente de l’Union au Groenland, l’appel à faire en sorte que le pétrole, le gaz et le charbon restent enfouis dans le sol, y compris dans les régions arctiques.

Cette mission ne saurait être plus urgente. Si le changement climatique est présent à l’esprit de tous, il est deux fois plus rapide dans l’Arctique que partout ailleurs sur le globe. Certaines côtes de la région seront bientôt libres de glaces durant l’été – et finiront par l’être en hiver également. La fonte des glaces et du pergélisol relâche d’énormes quantités de méthane dans l’atmosphère, ce qui a pour effet d’accélérer encore le réchauffement mondial, tandis que l’élévation du niveau des océans menace toujours davantage les habitants des côtes dans le monde entier. Le rapport publié en août 2021 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies a souligné de nouveau le fait que les activités humaines étaient à l’origine de ces évolutions.

Déjà, le recul de la banquise arctique est en train d’ouvrir des voies maritimes et de faciliter l’accès au pétrole, au gaz et aux minerais (dont certains sont déterminants pour faire face à la demande mondiale grandissante de produits technologiques innovants). Rien d’étonnant donc à ce que l’Arctique voit sa population augmenter et qu’un nombre croissant d’acteurs s’y engagent toujours plus. De plus en plus, le type de concurrence stratégique qui est de mise partout dans le monde est en train de modeler le paysage de l’Arctique.

La Chine, par exemple, s’est décrite comme étant un «État quasi arctique,» et a jouté une «route de la soie polaire» à son initiative transnationale «une ceinture, une route». Elle investit massivement dans les gisements russes de gaz naturel liquéfié et s’intéresse à la perspective d’un raccourcissement des trajets maritimes. La Russie, quant à elle, s’emploie à construire de grands brise-glaces et voit dans la route maritime septentrionale la possibilité d’augmenter son trafic maritime intérieur et international, ainsi que de reconstituer ses capacités militaires dans la région, gelées depuis la fin de la guerre froide.

Ces évolutions montrent que l’Europe doit avoir une définition large de ses intérêts géopolitiques afin de promouvoir la stabilité, la sécurité et une coopération pacifique dans l’Arctique. S’il incombe naturellement avant tout aux huit États de l’Arctique de traiter ces questions, il apparaît que nombre de problèmes concernant la région ne sauraient être réglés que par le truchement d’une coopération régionale ou multilatérale. L’UE étendra par conséquent sa collaboration sur ces questions à l’ensemble des parties intéressées, et notamment à ses alliés et partenaires, tels que les États-Unis, le Canada, la Norvège et l’Islande.

Ainsi, en matière de recherche et de sauvetage en mer, nous avons besoin d’une coopération régionale ou circumpolaire entre les garde-côtes nationaux et de recourir davantage à nos systèmes satellitaires pour réduire les risques. De même, l’UE est déterminée à assurer le succès de l’accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central. Une autre priorité régionale est l’inclusion sociale: les défis qui se posent aux autochtones éleveurs de rennes ne s’arrêtent pas aux frontières nationales. Nous sommes également plus efficaces lorsque nous travaillons ensemble sur les normes «zéro émission» en matière de navigation, les bonnes pratiques pour la télémédecine, les énergies renouvelables ou encore la réduction de la pollution par les plastiques.

Forte de décennies d’expérience en matière de promotion de la coopération régionale, l’UE jouera pleinement son rôle. Nous sommes l’un des principaux partisans du multilatéralisme et prenons nos engagements multilatéraux au sérieux – particulièrement quand il s’agit de lutter contre le changement climatique. De plus l’Union est directement partie prenante de l’Arctique. Trois de nos États membres y ont des territoires et nous avons défini des lois qui s’appliquent dans cinq États arctiques. Nous participons activement à plusieurs instances régionales, dont le Conseil de l’Arctique, le Conseil euro-arctique de la mer de Barents et la « Dimension septentrionale », où nous collaborons avec la Russie, la Norvège et l’Islande, en particulier dans le domaine de l’environnement.

L’UE étendra son engagement dans l’Arctique à l’ensemble de son champ d’action politique. Cela consiste notamment à accorder une attention particulière aux intérêts et aux points de vue des jeunes et des peuples autochtones, qui possèdent une connaissance unique des contextes locaux et qui sont les témoins directs des changements qui s’opèrent sous leurs yeux, changements qui sont autant de menaces imminentes pour l’ensemble de la planète.

Nous avons clairement besoin d’une approche intégrée. Il nous faut pour cela combiner nos objectifs climatiques et environnementaux avec les perspectives économiques offertes, tout en menant une action conjointe contre les menaces qui planent sur notre sécurité à tous, dont celles inhérentes à la crise climatique. Ainsi, le fait de stimuler une bonne transition verte donnera aux régions arctiques la possibilité de créer des emplois dans des secteurs tels que l’énergie décarbonée, ainsi que d’élaborer des approches durables en matière de connectivité, de tourisme, de pêche et d’innovation.

L’Europe continuera d’utiliser son important budget de recherche et son savoir-faire en sciences de la terre pour mieux comprendre et combattre les effets du changement climatique. Nous nous attacherons aussi à renforcer l’autonomie stratégique de l’UE en matière de minerais indispensables pour la transition verte, en veillant à ce que l’extraction de ces matières premières essentielles s’effectue en conformité avec les normes environnementales les plus élevées.

L’Arctique fait face à des défis graves, voire existentiels. L’UE renforcera et actualisera son engagement, afin de faire en sorte que les approches collaboratives pour relever ces défis prennent le dessus sur une concurrence stratégique potentiellement dommageable.

 

[Source: The Project Syndicate]

 

Josep Borrell, High Representative of the European Union for Foreign Affairs and Security Policy, is Vice President of the European Commission for a Stronger Europe in the World. Virginijus Sinkevičius, a former minister of the economy and innovation for Lithuania, is Commissioner for Environment at the European Commission.