ANNE-MARIE SLAUGHTER, ALEXANDRA STARK

 

Le président américain élu Joe Biden a clairement fait savoir que la diplomatie s’inscrirait au cœur de la politique étrangère de son administration. Biden s’est engagé à rejoindre l’accord climatique de Paris dès le premier jour de sa prise de pouvoir, à renouer avec les alliés de l’OTAN, à revenir à l’accord de 2015 conclu par les États-Unis sur la question nucléaire iranienne, ainsi qu’à convoquer un «Sommet pour la démocratie», destiné à «redynamiser l’esprit et le destin commun des nations du monde libre». Comme l’a écrit Biden dans Foreign Affairs au mois de mars, «la diplomatie doit constituer le premier instrument de la puissance américaine».

 

La reconstruction des traités et alliances de l’Amérique fera du bien après quatre années d’une approche purement transactionnelle du monde sous la présidence Donald Trump. La politique étrangère de « l’Amérique d’abord » appliquée par Trump a mis à mal les relations du pays avec ses alliés, et entravé sa capacité à affronter un certain nombre de défis de plus en plus complexes, tels que la pandémie, le changement climatique, la prolifération nucléaire, le recul de la démocratie, ou encore les pratiques commerciales inéquitables.

Face à ces problématiques, l’élaboration d’une politique étrangère avant tout axée sur la diplomatie dépendra d’autre chose que des choix politiques de la nouvelle administration au cours de sa première année, aussi importants soient-ils. Elle exigera une profonde refonte des institutions américaines, afin de faire de la diplomatie le cœur permanent de la politique étrangère et de sécurité nationale.

Ces efforts devront commencer par repenser ce que signifie la sécurité, et à qui elle se destine. Les praticiens et politologues définissent traditionnellement la sécurité comme ayant pour étroite signification la défense de l’intégrité territoriale d’un État-nation et de son indépendance politique, ce qui aboutit naturellement à placer l’accent sur les capacités militaires.

Or, la sécurité nationale doit également être synonyme de protection de la population contre les menaces – de la maladie jusqu’aux violences, en passant par les incendies et inondations – qui impactent sa vie quotidienne. Le fait que ces menaces touchent en particulier les communautés les plus vulnérables est le fruit des mesures politiques, pas le fruit du hasard. La sécurité doit par conséquent débuter par l’élaboration d’un ensemble d’outils nationaux et mondiaux de réduction des risques auxquels ces groupes sont confrontés.

Dans cette conception, la diplomatie doit commencer à l’intérieur du pays. Si par exemple la pandémie menace la sécurité nationale, alors les États-Unis devront investir dans un système de santé plus solide, tout en renforçant significativement leur engagement dans le cadre d’institutions internationales telles que l’Organisation mondiale de la santé, afin d’être prêts face au prochain virus.

Si la violence politique menace la sécurité des Américains – et New America a démontré que le terrorisme d’extrême droite avait fait plus de morts parmi la population américaine que le terrorisme islamique depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis – alors le pays devra investir davantage dans des outils de surveillance à l’intérieur comme à l’étranger. Nous devrons également investir pour rebâtir la confiance dans nos institutions démocratiques, y compris dans notre système électoral, tout en travaillant avec nos partenaires du monde entier pour stopper le recule de la démocratie, et lutter contre la propagation de la désinformation.

De même, si les inégalités dans l’accès à Internet empêchent certains Américains de suivre des études et de bénéficier de soins de santé, ainsi que d’un nombre croissant de services publics et privés, alors le gouvernement américain devra œuvrer pour rendre la connectivité digitale aussi disponible que l’électricité à travers le pays. Dans le même temps, il s’agira de travailler avec d’autres gouvernements et organisations internationales afin de créer un univers digital beaucoup plus équitable et accessible.

Il s’agira également pour l’administration Biden d’élaborer un plan de réinvention du département d’État américain, à commencer par le service diplomatique. Comme l’a récemment observé le journal Democracy, la conception du service diplomatique au XXe siècle, celle qui y voit un corps de haut fonctionnaires de carrière, « prive les États-Unis du talent, des connexions et de l’agilité dont nous avons besoin pour défendre les intérêts nationaux et affronter les défis mondiaux efficacement au XXIe siècle ». Un corps diplomatique ouvert au talent de professionnels par exemple issus d’ONG, d’universités, et de groupes religieux, serait mieux armé pour appréhender des problèmes transnationaux complexes, qui exigent des effectifs aux profils divers, forts de tout un éventail d’expérience et d’expertise.

Enfin, une politique étrangère américaine de la diplomatie d’abord accorderait un rôle beaucoup plus important au développement, domaine qui requiert sa propre diplomatie. Idéalement, l’administration Biden travaillerait avec le Congrès sur une refonte de la loi de 1961 sur l’aide extérieure, et sur la création d’un nouveau département gouvernemental chargé du développement mondial. Même sans aller jusque là, la promotion du directeur de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) à un poste de niveau gouvernemental enverrait un signal selon lequel les États-Unis considèrent le développement économique comme un outil majeur dans leurs efforts d’amélioration du bien-être humain à travers le monde.

D’autres pays pourraient de la même manière repenser leur stratégie diplomatique, ainsi que leur définition de la diplomatie et de la sécurité. Le pouvoir législatif de ces pays aurait alors un rôle à jouer. Aux États-Unis, le Congrès décide des fonds alloués à chaque agence fédérale et programme. Pour l’exercice 2019, la défense a représenté environ la moitié des dépenses discrétionnaires totales du gouvernement fédéral, tandis que l’ensemble du budget consacré aux affaires internationales en a représenté moins de 4%.

Le Congrès peut contribuer à la reconstruction de la capacité diplomatique américaine, en allouant davantage de ressources à la réforme ainsi qu’à un plus grand financement du département d’État et de l’USAID. Par ailleurs, via son rôle de supervision, il peut empêcher l’exécutif de recourir avec excès aux outils militaires. À son plus haut degré d’affirmation, le Congrès peut révoquer les autorisation d’emploi de la force militaire, bloquer les ventes d’armes américaines, et restreindre ou imposer des conditions au financement de la coopération en matière de sécurité.

Confrontés à une pandémie mondiale et au changement climatique, les dirigeants politiques à travers le monde doivent se repencher précisément sur ce qui fait que leurs concitoyens vivent plus ou moins en sécurité. Ils découvriront alors qu’investir dans la résilience nationale ainsi que dans la diplomatie et le développement au niveau mondial revêt davantage de sens qu’insister sur les budgets militaires. À l’heure ou Biden se préparer à prendre ses fonctions, nous avons besoin d’une poussée collective de nouvelle diplomatie mondiale, propice à une plus grande coopération face aux menaces communes.

 

Anne-Marie Slaughter, a former director of policy planning in the US State Department (2009-11), is CEO of the think tank New America, Professor Emerita of Politics and International Affairs at Princeton University, and the author of Unfinished Business: Women Men Work Family.

Alexandra Stark is a senior researcher at New America.