Nous publions en exclusivité pour la France cette analyse de Josep Borrell sur les éléments d’une stratégie européenne face à la Chine. Depuis sa prise de fonction, le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune a multiplié les déclarations sur la Chine, avec un talent oratoire qui lui a parfois fait prendre des risques. Ainsi en était-il de son appel aux Européens de suivre leur propre inclination et non les incitations venues des États-Unis: “my way”, bientôt rebaptisé “doctrine Sinatra” par les observateurs. Aujourd’hui, M. Borrell récidive en direction de la Chine, en s’inspirant cette fois-ci de Serge Gainsbourg: “je t’aime, moi non plus”.
Indiscutablement, cela fera froncer plus d’un sourcil à Pékin. Mais l’essentiel n’est pas là. M. Borrell évoque aujourd’hui la militarisation, l’expansionnisme et les actions de force chinoises, l’application sélective du multilatéralisme et du droit international, les violations des droits de l’Homme, et même la nouvelle diplomatie dite des “loups combattants”.
Au regard de ces constatations, M. Borrell constate certes une fois de plus l’interdépendance technologique et économique de l’Europe et de la Chine, comme des États-Unis : une dépendance commerciale plus réduite qu’on ne le dit souvent pour l’UE dans son ensemble. Il récuse une nouvelle Guerre froide et une division du monde en deux blocs, mais il est clair que beaucoup dépend des réponses que la Chine apportera aux demandes européennes dans la négociation, en principe ravivée dans les prochains mois, sur un accord cadre pour les investissements. Doctrine Sinatra ou non, les Européens sont “plus proches de Washington que de Pékin”.
François Godement et Michel Duclos
Avec l’aimable autorisation du média espagnol Política Exterior, qui a publié cet article le 01/09/2020
Afin d’éviter de se retrouver coincée entre les États-Unis et la Chine, l’Union européenne va devoir s’affirmer. Elle doit analyser le monde de son propre point de vue, défendre ses valeurs et ses intérêts, et utiliser tous les instruments de puissance dont elle dispose.
La relation entre les États-Unis et la Chine a profondément changé depuis qu’ils ont signé en ce début d’année un accord à Washington qui devait mettre fin à la guerre commerciale commencée en 2018. À présent, la rivalité entre les deux grandes puissances s’étend à tous les domaines, impliquant fermetures de consulats et récriminations mutuelles. Elle reflète leur lutte pour la suprématie géopolitique mondiale, comme si nous entrions dans une nouvelle Guerre froide.
Est-ce le coronavirus qui a conduit à ce changement ? Si cet acteur inattendu et exogène n’a rien à voir avec les idéologies, il a certainement joué le rôle de catalyseur d’une rivalité sous-jacente qui deviendra le facteur géopolitique prédominant de l’ère post-virus.