CHRISTIAN LEQUESNE

Professeur, Sciences Po, Paris 

 

Le refus de tout accord pour lutter contre le changement climatique, les attaques répétées à l’encontre du multilatéralisme commercial et la dénonciation de l’accord sur le nucléaire conclu avec l’Iran ont amené Trump à réaliser une prouesse diplomatique: faire douter unanimement les Européens de leur allié américain. Avec Trump triomphe la politique américaine des gros bras, méprisant ses amis de toujours, qu’ils soient européens ou canadien.

Pendant ce temps, la Chine assoit sa puissance économique et militaire en revendiquant, à l’inverse des États-Unis, l’internationalisme. Le président Xi Jinping est devenu le chantre du libre commerce et du multilatéralisme. Ceci ne l’empêche nullement de mater tous ceux qui s’opposent à son pouvoir chez lui, car le libre marché n’a jamais signifié la démocratie. Quant à la Russie, celle de Vladimir Poutine joue l’internationalisme a minima dans le but de conserver son pouvoir en interne. La politique étrangère de Poutine consiste à montrer aux citoyens russes que leur pays est respecté en agitant de temps en temps le bruissement des bottes, que ce soit en Ukraine ou en Syrie.

Et l’Europe ? Est-elle à la hauteur des atouts de sa puissance ? Plus que jamais, le changement du monde devrait inviter les Européens à se poser cette question avec force. Mais à l’inverse, beaucoup en Europe préfèrent se regarder le nombril et se replier derrière leurs frontières nationales. Les partis politiques qui prônent la nostalgie des vieux États-nations font d’excellents scores à toutes les élections.

Vu de New-Dehli ou de Pékin, l’Europe doit sembler terriblement « petite bourgeoise » : ses habitants possèdent un modèle social parmi les meilleurs du monde, mais ne cessent de hurler à la moindre réformette. L’Europe manque de main-d’œuvre en raison de sa démographie déclinante, mais est incapable de penser l’immigration autrement que comme un psychodrame.

Il est temps que les Européens s’unissent en prenant acte des changements du monde. La Chine et l’Inde n’en sont plus à copier les technologies européennes, mais produisent au quotidien de la valeur ajoutée technologique. Les Européens représentent aujourd’hui 500 millions d’habitants dans un monde de 7 milliards. Dans quatre décennies, ils seront toujours le même nombre dans un monde qui en comptera 10 milliards.

Si l’Europe veut être respectée et avoir voix au chapitre, elle n’a qu’une solution : agir ensemble pour sauver sa puissance. Si l’Europe est d’ores et déjà respectée au plan commercial et monétaire, c’est parce qu’elle a réussi à se doter d’une représentation unie dans ces deux domaines. Si, à l’inverse, elle n’est pas prise au sérieux en matière de défense et de sécurité, c’est parce qu’elle n’est jamais parvenue à dépasser la dispersion que le secrétaire d’État Kissinger pointait déjà du doigt en son temps : «L’Europe: quel numéro de téléphone?»

Le monde de 2050 sera composé de grandes puissances qui ne prendront au sérieux la France, l’Allemagne, l’Italie que si elles présentent un front commun. Ceux qui prônent, lors des élections, le repli sur leur État-nation manquent totalement de réalisme et de lucidité. Incapables de se projeter, ils pensent à leur passé révolu et non l’avenir de leurs enfants, comme les partisans du Brexit en Grande-Bretagne. Il est pourtant simple de comprendre que face à la montée en puissance de la Chine, de l’Inde et des États-Unis, seule l’union de l’Europe pourra sauver les États-nations qui la composent.

 

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