Marjorie Jouen
Cette Tribune a été écrite dans le cadre de la conférence de Varsovie intitulée «L’avenir de la politique de cohésion après 2020» («The future of Cohesion Policy post-2020»), co-organisée par le Comité européen des régions et la Région de Mazovie le 3 mars 2017.
Avant de faire des propositions pour l’avenir, nous devons regarder en arrière. Il y a presque exactement 30 ans, le 15 février 1987, le Président Jacques Delors prononçait un discours célèbre intitulé «Réussir l’Acte unique» devant le Parlement européen. Il expliquaitles fondamentaux de la Politique de cohésion (PC) devant être lancée en juin 1988. Ceux-ci combinaient le soutien aux régions en retard de développement ou faibles, au titre de l’objectif de convergence (déjà présent dans le préambule du Traité de Rome1), et l’aide à des zones ou des régions fragiles confrontées à de nouveaux défis associés au Marché unique et à des restructurations économiques majeures. Ainsi, pour illustrer ce deuxième aspect de la PC, considérée comme la solidarité européenne en action par Jacques Delors, les zones rurales en déclin et celles en restructuration industrielle bénéficièrent des Fonds européens au titre des objectifs 2 et 5b.
Depuis 2007, malgré l’ajout de la cohésion territoriale dans le Traité de Lisbonne, la prétendue simplification des règles d’éligibilité a conduit à la définition de catégories de régions seulement basées sur le PIB/habitant et d’autres critères quantitatifs, ignorant la vulnérabilité structurelle de certaines régions ou zones infrarégionales en lien avec l’intégration européenne. Ainsi, la notion de solidarité européenne s’est-elle affaiblie au point de disparaître, portant un coup à la légitimité de l’Union européenne au passage. Dans le cadre financier actuel, seuls perdurent majoritairement le soutien aux régions en retard et l’objectif de convergence, ainsi que quelques sommes mineures dédiées à la coopération territoriale.
Alors que le spectre de la crise financière s’estompe, il devient évident que la contribution de la PC à l’investissement public et à la réalisation de la stratégie EU 2020 n’est pas suffisante pour convaincre les décideurs politiques nationaux et les citoyens européens de l’intérêt de maintenir des financements pour toutes les régions. Dans une certaine mesure, la dérive vers une réglementation extrêmement complexe, la sur-régulation par les administrations nationales et les contrôles disproportionnés illustrent la légitimité déclinante de la PC.
En conséquence, si nous voulons assurer la continuité de la PC, nous devons substantiellement la réformer afin qu’il soit évident pour tous les citoyens européens qu’elle les aide, peu importe où ils vivent, à faire face aux nouveaux défis et que la PC est le meilleur instrument d’exercice de la solidarité européenne.
La réforme de la PC devrait alors suivre simultanément deux directions:
▪ Revisiter l’objectif de convergence à la lumière des nouveaux défis. Si l’on tient compte de l’accroissement des disparités infrarégionales plutôt qu’inter-régionales et de la multiplicité des inégalités, les critères d’éligibilité devraient être diversifiés (PIB/habitant, indicateurs sociaux et environnementaux, indicateurs liés à la démocratie et aux droits humains). Le modèle socio-économique désirable pour les citoyens européens à l’horizon 2030 devrait aussi être interrogé, en mettant en évidence la valeur du mode de vie européen en tant que tel (paisible, démocratique, tempéré, relativement égalitaire, etc). En ayant conscience que les régions et les autorités locales sont les mieux placées pour alimenter ce mode de vie, la PC post-2020 devrait s’attacher à construire des régions résilientes sur cinq plans — socio-économique (compétitivité et innovation), environnemental, démocratique, équilibré territorialement (rural-urbain) et du développement humain (culture, éducation, santé).
▪ Identifier les «besoins de solidarité européenne» auxquels une politique de développement territorialisée, multi-annuelle et partenariale peut répondre. Parmi les principaux projets poussés par le Président Juncker, l’approfondissement de l’UEM et l’Union de l’énergie (et du climat) vont probablement produire des chocs asymétriques pour certaines régions qui souffrent de faiblesses structurelles. Un autre défi résultera de la coïncidence de deux tendances démographiques opposées. À l’horizon 2050, 69 régions seront confrontées à la fois à une baisse naturelle substantielle de leur population alors qu’elles devront accueillir un afflux de migrants supérieur à la moyenne. Elles devraient être soutenues par la PC, pour être capables d’absorber ce choc résultant de la politique extérieure de l’UE.
* Marjorie Jouen. conseillère, Institut Jacques Delors.
[Source: Notre Europe, Institut Jacques Delors]
- «Soucieux de renforcer l’unité de leurs économies et d’en assurer le développement harmonieux en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées».