La motivation principale de la construction européenne a été la volonté de pacifier les rapports entre des nations qui se sont fait la guerre pendant mille ans. Si la puissance d’un État dépend de sa capacité à s’imposer sur la scène internationale, celle des institutions européennes découle d’une vision post-nationale qui suppose la mise en commun des souverainetés nationales à un moment où d’autres puissances (Chine, Inde, États-Unis, Russie) reposent toujours sur l’affirmation de l’État-nation. L’Union européenne, pour sa part, peut s’appuyer sur ses vingt-huit États membres avec le Brexit – ils ne devraient plus être que vingt-sept – sur leur volonté d’agir de concert, sur leurs liens de solidarité et enfin sur les outils communs qu’ils sont disposés à mettre en place.
Depuis les années 1950, l’histoire de l’Europe de la défense est marquée par la division. La politique de défense étant une coopération entre États souverains, il est inévitable qu’elle porte la marque des vingt-huit parcours nationaux distincts concernés. « En France, l’objectif d’une Europe politique, dotée d’une politique étrangère et de défense, capable d’intervenir dans des crises régionales, fait partie de l’ADN national. Depuis le général de Gaulle, et quelles que soient les évolutions du monde et de l’Europe elle-même, cette ambition est inscrite au programme de tous les gouvernements français », souligne Nicole Gnesotto (« Faut-il enterrer la défense européenne? »), collection Réflexe Europe, série Débats, La Documentation française, 2014). Cette évidence n’en est plus une, hors de France. Si le Royaume-Uni a tenu le rôle de l’opposant quasi systématique à la montée en puissance stratégique de l’Union, les pays européens possèdent tous leurs raisons propres de vouloir soutenir ou limiter la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Longtemps ont été négligées la dimension stratégique, autrement dit, l’analyse des rapports de force à l’œuvre dans les relations internationales, la prise en compte et la prévention des risques et des menaces politiques et militaires, la réflexion générale sur les conditions de la paix autour de l’Europe et dans le monde.
Exercice pour hélicoptères organisé par l’Agence européenne de défense (AED) et qui vise à entraîner des équipages pour de futures missions dans le cadre de l’Union européenne ou de l’Otan. Cet exercice, baptisé Black Blade, rassemble au total treize hélicoptères provenant de quatre pays (Belgique, Slovénie, Autriche et Italie), un avion Falcon britannique et quelque 160 membres des forces spéciales, soit un total de 400 personnes, 2016.
Il a fallu attendre 1998 pour assister à l’acte de naissance symbolique de la PSDC (alors (PESD, Politique européenne de sécurité et de défense), lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo ; le nouveau Premier ministre travailliste britannique Tony Blair ayant pris acte du vide sécuritaire créé en Europe par le désengagement progressif des États-Unis et a rapproché ses positions de celles de la France. Et ce n’est qu’en décembre 2003 que l’Union européenne a adopté sa « stratégie européenne de sécurité ». « Elle préconise une approche globale face aux menaces, un multilatéralisme «efficace» et une politique de voisinage à l’égard des pays tiers et constitue désormais l’un des principaux éléments de l’identité européenne », constate Fabien Terpan. («L’Union européenne face aux enjeux de sécurité», Grande Europe n° 34, juillet 2011 – La Documentation française.
Après une montée en puissance de la Politique européenne de sécurité et de défense durant les années 2000 concrétisée par une trentaine d’opérations civiles, militaires ou civilo-militaires, l’Europe de la défense et son ambition stratégique ont semblé avoir disparu. Les Européens sont restés muets durant l’éclatement des printemps arabes en 2011 et se sont divisés sur la Libye. L’ampleur de la crise économique y a sans doute contribué.
À présent, dans un contexte de multiplication des menaces dans la périphérie de l’Union européenne et de défis – déstabilisation du Proche-Orient, de la région du Sahel et de l’Ukraine, Brexit, imprévisibilité des engagements de l’administration Trump, terrorisme –, la question de la construction d’une communauté européenne de défense se pose plus que jamais. C’est dans ce contexte qu’a été présentée la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité au Conseil européen les 28 et 29 juin 2016. Et la France et l’Allemagne ont présenté, dès le 27 juin 2016, via leur ministre des Affaires étrangères respectif, une proposition « Pour une Europe plus forte » dont l’un des axes principaux est la mise en œuvre d’un pacte de sécurité européen. Une «initiative franco-allemande» sur les enjeux clés de la coopération européenne dans le domaine de la sécurité intérieure a été publiée le 23 août 2016 par les ministres de l’Intérieur français et allemand. Enfin, des propositions élaborées par les ministres de la Défense français et allemand ont été transmises le 11 septembre 2016 à la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et de sécurité.
« Au bout du compte, le choix est simple, » écrit Nicole Gnesotto. Soit l’Union européenne devient une agence civile travaillant, selon les cas, au service des autres acteurs stratégiques. Elle intervient dans la reconstruction et la stabilisation des pays après la phase de conflit. Dit autrement, elle finance, forme des personnels, reconstruit des infrastructures mais délègue à l’ONU, l’OTAN, les nations, l’écriture politique du monde. (…)
Soit l’Union décide de prendre en charge non seulement le financement des autres mais aussi son propre destin et elle se donne les moyens effectifs, y compris militaires, non pas de subir mais d’intervenir sur l’ensemble de son environnement extérieur – aussi bien sur la gouvernance de la mondialisation que sur l’évolution du Maghreb ou de l’Afrique. C’est une option plus risquée et plus coûteuse, mais aussi plus stimulante pour les citoyens car elle est porteuse d’une adhésion renouvelée à un projet porteur d’espoir et d’avenir. »
[Source: La Documentation française]