par Jacques Delors, président fondateur de Notre Europe
7 février 2012 – Bruxelles
Comment naît l’idée et comment décide-t-on d’une convocation d’une conférence intergouvernementale ? C’est toujours la coïncidence entre un défi et la contrainte des événements d’un côté et une volonté politique de l’autre exprimée tout au long de la vie communautaire. De ce point de vue, pour Maastricht, deux événements ressortent comme moteurs : d’un côté la chute du Mur de Berlin, un événement politique d’une portée historique, et de l’autre l’avancée des schémas sur l’Union économique et monétaire. Puisqu’après l’acceptation du rapport par le Conseil européen à Madrid en 1989, les travaux ont continué sous toutes les présidences pour essayer d’aboutir à une proposition.
Ce qui nous conduit à une démarche en quatre points, quatre étapes. Tout d’abord je voudrais rappeler le contexte des années 1988-1991, qui n’est pas celui d’aujourd’hui. Ensuite énoncer les péripéties les plus significatives quant aux débats menés et aux divergences. Troisièmement le traité de Maastricht comme support de l’Union économique et monétaire, sans ce moteur il n’y aurait peut-être pas eu de Traité. Enfin les autres apports substantiels du traité de Maastricht dont d’éminents collègues et amis détailleront ensuite le contenu et dresseront un bilan.
- Le contexte historique
En ce qui concerne le contexte des années 1988-1991, je voudrais souligner bien entendu la chute du Mur de Berlin, les conflits extérieurs qui ont assailli l’Europe, le climat interne de la Communauté et enfin la vivacité des débats sur la conception même de la construction européenne. C’était une époque où les chefs d’Etats et les membres de la Commission s’exprimaient sur le devenir de la construction européenne, la philosophie et le devenir des institutions, la répartition des pouvoirs.
Tout d’abord, la chute du mur de Berlin. Il s’en suivit l’effondrement de l’Union soviétique et l’éclatement constaté du Comecon, avec lequel la Communauté européenne – elle s’appelait communauté à l’époque – avait des relations. Ce fut une grande mutation, tout le monde s’accorde à le dire. On pouvait craindre les pires conséquences. Un grand espoir est né d’une diffusion des idées de liberté qui avait commencé avant la chute du Mur. C’est la force du politique, on n’insistera jamais assez. Et si vous me permettrez, c’est un peu injuste mais j’aimerais isoler trois personnalités, qui par leur sagesse, leur vision – ils n’étaient pas toujours d’accord entre eux mais ils ont fini par éviter que chute du Mur ne provoque des milliers et des milliers de morts. Je voudrais citer Gorbatchev, le Président Bush et le Chancelier Kohl, qui avait sans doute avec Gorbatchev, la tâche la plus difficile.
Il faudrait aussi souligner pour se remettre dans l’ambiance de l’époque les appréhensions des partenaires de l’Allemagne. A un conseil européen de décembre 1989, convoqué par François Mitterrand dans les salons mêmes de l’Elysée, il a fallu que le Chancelier Kohl s’explique, rassure, comme d’ailleurs allaient le faire H. Genscher, et T. Waigel dans leurs fonctions respectives. Bien sûr tout n’était pas gagné – je passerai sous silence les réactions plus ou moins craintives, négatives, de certains, voir hostiles d’autres. Il y a eu notamment cette réunion de l’Alliance atlantique au Canada, dont les Allemands ont gardé un souvenir amer, car il se trouvait que leurs collègues de l’Union manifestaient encore quelques réserves. Face à un tel bouleversement, il y avait des raisons de s’interroger. Simplement pendant deux ans, je le répète, le Chancelier Kohl, Waigel et Genscher, à chaque Conseil des ministres européen, rappelaient où on en était, essayaient de rassurer, alors que d’autres événements surgissaient comme facteurs de division.
Citons maintenant la présence active, dans son domaine de compétence, de la Commission. Dès le lendemain de la chute du Mur, j’ai été interviewé par la presse allemande et j’ai dit que les Allemands de l’Est appartenaient à l’Europe. Et ensuite il y a eu le programme de la Commission pour les Länder de l’Est. Bref, la Réunification a été consacrée le 2 octobre 1990, après l’épisode malheureux de la confédération, et en conséquence dès le Conseil européen de Dublin, en novembre 1990, on envisageait la convocation d’une conférence intergouvernementale. Et il y eut une lettre Mitterrand-Kohl sur l’Union politique. Le chancelier Kohl, voyant à la fois les difficultés et l’espérance que provoquait la chute du Mur de Berlin, en Allemagne, et ses partenaires, notamment François Mitterrand, pensaient que pour surmonter toutes ces difficultés, et en même temps pour concrétiser tous ces espoirs, il fallait faire un pas vers l’Union politique. Ce pas était indépendant de la démarche de l’Union économique et monétaire, il correspondait à cet événement formidable qu’est la chute du Mur de Berlin. Et c’est à la fin 1990 que fut décidée la convocation officielle de la conférence intergouvernementale. Mais pendant que la Communauté réfléchissait à cela, les conflits extérieurs, comme toujours, défiaient la Communauté européenne. Il y a avait la première guerre d’Irak, qui contrairement à la seconde a vu un consensus assez large des Européens. Il y avait surtout les débuts de la tragédie yougoslave, où j’ai vraiment cru à un moment que nous allions, sinon vers la rupture mais en tout cas vers de graves contradictions et oppositions. La discussion entre les Européens fut longue, notre impuissance caractérisée. On m’a alors envoyé en mission à Belgrade (juin 1992) avec monsieur Santer, et nous avons eu la conviction que la séparation était inévitable, les divergences étaient si grandes entre les Etats. Ensuite la Présidence hollandaise a fait un gros effort en convoquant une conférence présidée par Lord Carrington, mais sans succès. Les divergences étaient fortes : la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, et surtout la France et l’Allemagne n’étaient pas d’accord sur à quel moment reconnaître la Croatie, et la Slovénie. Le pire a été évité. On ne m’enlèvera pas l’idée que les Français et les Allemands ont choisi la fuite en avant d’un nouveau Traité pour laisser de côté un sujet sur lequel la divergence n’était pas simplement diplomatique. En dépit de toutes ces difficultés, un climat de confiance régnait dans la Communauté avec une volonté d’aller de l’avant. La relance de la Communauté par le triptyque « Objectif 92 – Acte unique », le paquet Delors 1, avaient créé chez les Etats membres, une certaine euphorie, un climat d’optimisme. La conjoncture économique était favorable, puisque pendant cette période de 1985 et 1990, la Communauté a créé
12 millions d’emplois. Ce qui conduisait les responsables à parler de la monnaie unique avant même que la Commission n’en parle. Je fais référence notamment aux déclarations de monsieur Genscher, ministre des Affaires étrangères d’Allemagne fédérale, ou encore de monsieur Balladur, ministre des Finances en France. Le système monétaire européen tenait la route, en dépit d’ajustement des parités à deux reprises. En conséquence, à Hanovre, sous la Présidence allemande, le Conseil européen décida de créer un Groupe de sages pour étudier comment faire l’Union économique et monétaire. Ça n’a pas plu à tout le monde. Madame Thatcher a dit « Si ce n’est qu’une étude, pourquoi pas ? », mais le plus réservé était le Président de la Bundesbank. Le Chancelier avait la confiance des Allemands, il a tenu.
Quatrième point pour planter ce décor, la vivacité des débats politiques et théoriques. Il y avait donc l’impulsion franco-allemande, le dilemme avec ou sans la Grande-Bretagne, puis le discours de madame Thatcher à Bruges auquel je répondis l’année suivante. Ce qui était important c’est qu’il y avait des débats théoriques sur cette Europe liés aux événements : quelle visée finale, comment la faire, quelle était sa signification. Je ne citerai qu’une des phrases de Madame Thatcher, « Europe is not the creation of the Treaty of France » et là, vous avez ensuite le déroulé de son discours.
- Les péripéties les plus significatives
Quelles sont maintenant les péripéties les plus significatives ? J’en ai retenu quatre.
˗ L’opposition de la Grande-Bretagne
˗ La défense européenne
˗ La conception de l’ensemble du Traité
˗ Les conséquences du « non » danois
L’opposition de la Grande-Bretagne. Vigilance constante de la Grande Bretagne, pour la monnaie :
« oui à un Groupe de sages mais pas plus » ; pour la défense : l’alliance atlantique. Madame Thatcher a même refusé d’adopter la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs au Conseil européen de Paris en 1989. Puis elle a demandé, sans succès, une clause d’exception généralisée, qui lui a été refusée par les autres pays. Avec John Major, son successeur, à Maastricht, ils n’ont obtenu qu’un opting-out.
A propos de la défense européenne, il y a eu une réunion décisive sous présidence luxembourgeoise. Et monsieur Genscher prend la parole et dit « Puisque nous allons avoir une politique étrangère commune – cela figurait dans le mandat de la conférence – pourquoi pas une défense commune ? » Et aussitôt, fuse la réaction de plusieurs pays : la défense commune, c’est l’Alliance atlantique. J’ai compris ce jour-là qu’ils ne se mettraient pas d’accord. On voyait à ce moment-là se confirmer un vrai clivage avec la Grande-Bretagne sur deux sujets : la monnaie et la défense… Et comme les hommes politiques ont toujours de la ressource Monsieur de Michelis a remis ça durant la présidence italienne avec Douglas Hurd (deuxième semestre 1990). Il tentait de concilier l’appartenance à l’Alliance, la volonté de la renforcer et la méthode communautaire. Cela n’a pas marché. Puis, au deuxième semestre, la présidence néerlandaise, alors qu’un projet de traité avait été élaboré sous présidence luxembourgeoise au premier semestre 1991, a essayé de présenter un nouveau traité, qui a été vraiment très mal reçu. J’avais moi-même toujours ce souci de ne pas laisser la Grande-Bretagne en dehors, tout en étant fidèle à la méthode communautaire. Les autres pays ont trouvé que ce projet néerlandais venait trop tard, et étaient un peu vexés que tout le travail déjà réalisé soit négligé… Je voulais quand même souligner cet épisode parce que c’est dans la tradition néerlandaise d’essayer toujours de revenir aux principes de l’Union, même lorsqu’il s’agit d’une tâche à l’évidence ce jour-là impossible.
Troisième débat : la conception d’ensemble. C’est le classique « l’arbre ou le temple » – si cela vous dit quelque chose. Le projet de traité prévoyait la distinction entre trois domaines : le domaine dit communautaire (économique, financier, social), la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), et le troisième pilier avec les affaires intérieures et de sécurité. La Commission a eu la même réaction que pour l’Acte unique, certains d’entre vous qui sont étudiants se demandent « Qu’est-ce que c’est ce barbarisme l’Acte unique ? » ; c’est vrai, cela ne veut rien dire sauf pour les initiés. Cela veut dire que la coopération en matière de politique étrangère et les aspects économiques sont sous le même chapeau : l’Acte Unique. C’était notre invention, on n’en est pas très fier, mais on avait maintenu tout le monde ensemble. Donc la Commission a eu la même réaction que pour l’Acte unique. J’ai employé l’image de l’arbre avec le développement des branches différentes (économie, monnaie, affaires étrangères, sécurité, affaires intérieures) pour illustrer mon propos mais je n’ai pas récolté l’appui de tous les membres. L’opposition était anglaise, portugaise et danoise. Les approbations étaient italienne, belge, espagnole, grecque, irlandaise et hollandaise. Quant à la France, elle a pris une attitude assez subtile, qui consistait à penser « Ce président de la Commission est vraiment un empêcheur de tourner en rond, on était bien parti pour avoir un traité et voilà qu’il nous replonge dans des problèmes secondaires ! ». On est donc resté avec les trois piliers, l’urgence a commandé et la bataille pour une communauté unique a été perdue. La Commission se battra d’ailleurs jusqu’au bout – j’en témoigne. En novembre 1991, avant Maastricht, où j’étais accompagné par mon grand ami Frans Andriessen, toujours là, nous avons à nouveau défendu la théorie de l’Arbre, sans succès.
Je voudrais terminer cet éclairage sur les péripéties par les conséquences du « non » danois. Les Danois avaient dit « oui » à l’adhésion, « oui » à l’Acte unique par 50,7%, mais pour le traité de Maastricht, ils ont dit « non ». La campagne a été très instructive, tout y est passé : le nouveau traité menaçait les subventions données aux Eglises. Et j’ai appris ce jour-là que dans un référendum, on peut tout dire, y compris des énormités. Ensuite, François Mitterrand en a tiré la conséquence qu’il fallait faire un référendum en France, qui fut gagné de justesse. La présidence anglaise en a tiré une bonne leçon : « Il faut faire davantage pour la subsidiarité ». Et nous avons travaillé pendant des mois et des mois sur la subsidiarité, c’était assez comique… Si je ne dépasse pas mon temps, je vais vous raconter une petite histoire. Il y avait – les Anglais y étaient très sensibles – une directive sur la protection des animaux, une sur le transport des porcs. Il fallait qu’ils aient entre eux une certaine distance et qu’ils puissent se voir ; j’ai proposé entre autres la suppression de cette directive. Ce qui a suscité un énorme éclat de rire de Kohl. C’est pour vous dire que la subsidiarité mène à tout à condition d’en sortir.
- Le tr ai té de Maas tr ic ht c omm e s uppor t de l ’Uni on économique et monétaire
Le traité de Maastricht a donc donné naissance à l’Union économique et monétaire. La première étape fut ce Comité des sages que je présidais. Ce Comité devait appliquer comment faire l’Union économique et monétaire (UEM). L’unanimité a été obtenue, même le gouverneur anglais a accepté le texte. Le Comité était composé en dehors de M. Andriessen, Vice-Président de la Commission, et de deux experts, par les gouverneurs de banques centrales. Le gouverneur anglais a été ensuite convoqué par le Premier Ministre qui lui a dit « Alors ? – Mais Madame le Premier Ministre, j’ai indiqué comment le faire mais je n’ai pas dit s’il fallait le faire ». Cela n’a pas empêché son licenciement. Mais nous avions obtenu l’accord unanime ; le rapport a été remis début 1989 et a été endossé par le Conseil européen de Madrid. Ensuite, alors qu’il n’était pas encore question d’une conférence intergouvernementale, le travail a commencé sous présidence française avec le rapport d’Elisabeth Guigou, et sous présidence italienne avec le rapport Carli. Il y avait une progression somme toute satisfaisante des préparatifs de l’UEM, toujours sur comment la faire. Je vous rappelle que fut adoptée une démarche en trois phases : la première, le 1er juillet 1990 était derrière nous, elle concevait la libération des mouvements de capitaux et la France a dû, non sans regrets, concéder l’indépendance de sa Banque centrale. Deuxième phase, 1er juillet 1993, la création de l’Institut monétaire européen qu’a présidé M. Lamfalussy pour préparer le terrain et il restait à savoir à quelle date on ferait l’euro. Et cette question n’a été réglée qu’à Maastricht même. Je rappelle que dans le rapport des sages, le rapport Delors, la partie économique est plus importante en quantité que la partie monétaire, on doit toujours se le rappeler. La conférence intergouvernementale commence, et toujours avec cette idée que la monnaie et l’économie doivent progresser ensemble, j’ai proposé qu’on ajoute aux cinq critères budgétaires et monétaires deux autres critères : le chômage des jeunes et le chômage de longue durée. Le premier à dire non fut l’Espagnol parce qu’il n’y avait pas de statistiques soi-disant sérieuses sur le chômage dans tous les pays, mes propositions ne furent donc pas acceptées, à la grande satisfaction muette des Allemands et des Hollandais. Ce fut ma dernière tentative en tant que Président de la Commission, pour obtenir l’équilibre entre l’économique et le monétaire. On connaît la suite. Ce déséquilibre explique pour partie les difficultés de l’UEM. Mais ce n’est pas le cadre pour expliciter davantage ce qui fut une erreur fondamentale, un défaut de construction.
Les ultimes décisions seront donc prises à Maastricht. Nous sommes arrivés au Conseil européen sans date pour la dernière phase. C’est rare que dans une conférence intergouvernementale, des questions vitales ne soient pas réglées avant. Tommaso Padoa-Schioppa, l’ancien Président de Notre Europe, a joué un rôle essentiel parce qu’il a convaincu M. Andreotti qu’il fallait absolument une date, cette date fut obtenue dans de multiples conversations entre les chefs d’Etat – je n’y étais pas. La décision fut que la troisième phase commencerait au plus tard le 1er janvier 1999. Les historiens considèrent le choix de cette date comme essentielle. Si on était parti sans une date, le spill-over effect de l’UEM ne se serait pas poursuivi. Jusqu’à la fin, il en sera de même pour le protocole social, il y avait des questions non réglées avec une présidence hollandaise vraiment embarrassée. Car il s’agissait pour la première fois de consacrer un « non » important de la Grande-Bretagne. Voilà ce qui s’est passé pour l’UE avec l’action d’un opting-out à la Grande-Bretagne.
- Les autres apports du Traité
Tout d’abord, la Communauté devient l’Union. Je suis toujours nostalgique de la Communauté parce qu’elle procède d’un autre esprit, un autre parfum. Donc les Douze sont passés de la Communauté à l’Union et en concédant aux Anglais la suppression de la référence au fédéralisme. Mais le thème était quand même dans le traité car le fédéralisme, c’est aussi le vote à la majorité qualifiée.
Pour ce qui est des autres apports je voudrais citer en premier lieu : les nouveaux pouvoirs du Parlement européen, son droit d’investir la Commission et surtout la codécision législative – étape majeure – dont le Parlement européen, j’en suis témoin, a fait un très bon usage. Son rôle et son influence se sont accrus. Il est dommage que les médias n’en parlent pas davantage. C’est vrai que dans certains pays, ils ne parlent guère des débats dans les Parlements nationaux. Ces mêmes médias déplorent le manque de démocratie. Mais je leur réponds : la démocratie, c’est d’abord le Parlement élu dans la tradition européenne.
En second lieu, la politique extérieure et de sécurité commune. Je suis parti de Maastricht – et Frans aussi je crois – avec scepticisme. Il suffit d’énoncer le texte, qui est un oxymore : « La politique étrangère et de sécurité commune inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union européenne, y compris la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». Fermez le banc. Donc je n’ai jamais cru au dynamisme de ces dispositions et on aurait fait preuve de plus de bon sens si l’on avait dit : « chaque fois que les pays européens membres sont d’accord, ils mènent une action commune en matière de politique étrangère». Cela aurait été plus modeste, plus sûr et on aurait évité bien des déceptions.
Concernant les affaires de sécurité et de justice – dont parlera tout à l’heure António Vitorino car il a été responsable de cet important secteur – la Commission disposait d’un droit d’initiative non exclusif. C’est un lancement avec beaucoup de difficultés et de conflits avec la Commission, basé sur la coopération entre Etats membres, sur les questions d’intérêts communs comme le statut des citoyens extracommunautaires, la lutte contre le terrorisme, le trafic et la drogue, la création d’Eurojust et Europol. Tout allait dépendre ensuite des acteurs pour donner plus ou moins de contenu à cette discussion essentielle de la citoyenneté européenne.
J’en terminerai par le Protocole social, souvent oublié, qui fait suite aux dispositions de l’Acte unique. Puisque certains s’entêtent à répéter qu’il n’y a pas de social dans l’Europe. Rappelons quand même l’essentiel. Dans le traité de l’Acte unique, il y avait la santé, l’hygiène et la sécurité des conditions de travail, la référence au dialogue social, la politique structurelle qui représente 25% du budget communautaire. Et le succès du dialogue social, les avis communs, l’appui à l’objectif 92. Enfin nous avions fait voter la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux en septembre 1989 avec l’abstention de la Grande-Bretagne et, fait nouveau, j’avais demandé que ce texte soit rédigé par le Comité économique et social et non par la Commission. C’est donc le Comité économique et social qui a présenté le texte, fruit de la concertation entre les acteurs de la société civile et des partenaires sociaux. Il fallait faire un pas de plus dans le traité de Maastricht, lequel définit les champs de compétence, les clarifications utiles, et prévoit qu’un accord entre les partenaires sociaux puisse être sanctionné par une directive communautaire. Un passage que la Cour de justice devrait lire de temps en temps. Cela signifie qu’à la place d’une décision politique, il est possible aux partenaires sociaux d’avoir un accord qui ensuite aura force de loi. Je dis cela parce qu’il y a eu des arrêts de la Cour de justice sur les affaires sociales en Suède qui ne sont pas dans cet esprit. Cette disposition avait été préparée par une déclaration commune des partenaires sociaux ; ils s’étaient mis d’accord et avaient accepté que je présente ce texte. Celui-ci a failli avoir une courte vie parce que les participants au Conseil européen de Maastricht étaient fatigués et voilà que le président de la Commission remet ça avec son Protocole. Certains participants m’ont demandé de reporter cette proposition pour une prochaine conférence intergouvernementale. Je me suis entêté car cela faisait partie de l’équilibre. Ensuite les Anglais n’en voulaient pas, d’où le second opting-out. Il y avait aussi dans ce traité le principe de subsidiarité, un texte de référence que l’on peut lire encore aujourd’hui, il tient la route.
Et enfin la citoyenneté européenne, une idée déjà évoquée à Fontainebleau par le rapport Adonnino, la confirmation des droits d’établissement de circulation et de départ, le droit de vote aux élections municipales et européennes et la défense, par les autorités consulaires des pays de l’UE, de tous les citoyens nés dans un autre pays européen. Enfin, j’ai posé au début de cette conférence la question suivante : « Comment naît une conférence intergouvernementale ? ». Le traité de Maastricht prévoyait une nouvelle conférence intergouvernementale, ce fut fait à Amsterdam en 1997.
Je me garderais de conclure, mais enfin l’UEM et l’euro ont vu le jour la codécision est un succès démocratique, le troisième pilier a permis sans aucun doute des avancées, une plus grande sensibilité des institutions européennes et de l’Europe à ces questions qui sont vitales pour les citoyens. En revanche, la dimension sociale implorée par le Traité n’a pas trouvé de relais. La PESC n’a pas déclenché de processus vertueux. Enfin l’intergouvernemental fait de plus en plus d’adeptes en parole et en pratique, il est même un argument pour rassurer certains pays. On évoque aussi ce nouveau concept qui s’appelle « la méthode de l’union ». Si vous trouvez une définition de son contenu, vous pouvez l’apporter, à nous les think tanks. On en fera un bon usage. Et pourtant dans le même temps, où on prône l’intergouvernemental, certains parlent de fédéralisme budgétaire.
Allez y comprendre quelque chose ! Je vous remercie de votre attention.