Un risque et une opportunité
- Letta · Y. Bertoncini · E. Belfrage · J. Bitterlich · J.-L. Bourlanges · L. Cohen-Tanugi · N. Gnesotto · E. Guigou · E. Landaburu · R. Perissich · M.-J. Rodrigues · J. Solana · C. Stoffaës
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique est un événement géopolitique por- teur de risques, dont les Européens doivent analyser les causes et les conséquences afin d’en faire une opportunité pour notre Union. Cette tribune d’Enrico Letta, Yves Bertoncini et de membres de notre Conseil d’Administration a été publiée par Euractiv.com, Euractive.de, Le Figaro et El País.
La victoire de Trump est un tremblement de terre découlant de mouvements tectoniques déstabilisant la plupart des pays occidentaux et suscités notamment par la montée en puissance des pays « émergents » et des guerres au sein du monde arabo-musulman. Cette victoire n’est en rien celle « du peuple contre les élites », puisque Donald Trump a rassemblé 2,8 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton : elle est cependant l’expression d’un vote « anti-système » qu’on peut retrouver de ce côté-ci de l’Atlantique.
Cette victoire traduit un malaise qui touche plus particulièrement les catégories populaires et une partie des classes moyennes, à l’heure d’une mondialisation dont l’Occident sera de moins en moins le centre et vis-à-vis d’une ouverture économique, culturelle et politique vécue de manière très ambivalente. Cette tectonique des plaques a déjà produit quelques séismes plus ou moins forts (dont le vote en faveur du Brexit), qui engendreront en retour autant de « répliques » dans les pays présentant des failles et des fragilités proprement nationales.
Il faut naturellement tirer les leçons de ces séismes pour adapter les politiques conduites par les États membres mais aussi par l’UE, en nous efforçant de mieux réguler et façonner la mondialisation dans un sens favorable à nos valeurs et aux intérêts du plus grand nombre.
Si la victoire de Trump doit nous alerter au regard de certaines de ses causes, ce sont surtout ses conséquences potentielles qui doivent nous mobiliser comme Européens. L’administration Trump incarne en effet le retour d’un isolationnisme américain somme toute classique, qu’accentue un tropisme asiatique déjà largement présent ; mais cet isolationnisme pourrait prendre une forme plus imprévisible et plus brutale dans un contexte de montée des périls et des menaces.
Il nous revient donc comme Européens d’agir de concert pour renforcer notre sécurité collective, via davantage de coopération policière et judiciaire, le renforcement des contrôles à nos frontières externes, mais aussi en nous engageant davantage sur le plan diplomatique et militaire. Le « pilier européen de l’Alliance atlantique » retrouve toute son actualité en ces temps d’agressivité russe, de guerre civile et régionale en Syrie, de chaos libyen et de terrorisme islamiste – mais aussi à l’heure où le Royaume-Uni a décidé de quitter l’UE.
Donald Trump ne devrait pas manquer de nous rappeler à nos devoirs, tout en nous accusant de rechigner à porter nos dépenses nationales de défense à 2% de notre PIB, conformément aux orientations formulés dans le cadre de l’OTAN. Nous devons entendre son message, déjà porté par Barack Obama, afin d’être davantage capables d’agir pour notre sécurité face à des crises qui semblent périphériques et secondaires vues de Washington, alors qu’elles ont des effets directs et souvent mortifères chez nous.
L’élection de Donald Trump pourrait par ailleurs accentuer les différences politiques entre les USA et l’UE si sa présidence devait s’inscrire dans la continuité de sa campagne électorale. Angela Merkel a eu parfaitement raison de rappeler que le partenariat transatlantique repose sur des valeurs et des principes partagés, parmi lesquels l’attachement à la démocratie, à l’État de droit, aux droits de l’homme, à l’égalité homme-femme et au respect des minorités. Il nous appartient plus que jamais de réaffirmer et d’incarner ses grands principes comme composantes d’une identité européenne commune !
De même, il nous revient de revendiquer et de promouvoir un modèle de développement s’efforçant de concilier efficacité économique, cohésion sociale et protection environnementale, dont les USA se démarquent au regard de la priorité qu’ils accordent à l’efficacité économique, et dont Donald Trump pourrait s’écarter davantage. Saisissons-nous de l’opportunité de réaffirmer la légitimité de notre modèle face à la Chine, à la Russie, mais aussi aux USA, en continuant à nous mobiliser en matière environnementale et à hisser fièrement notre « drapeau vert », tout en procédant aux réformes nationales nécessaires pour qu’il fonctionne mieux, notamment en termes de cohésion sociale.
L’élection de Donald Trump constitue à la fois un risque et une opportunité géopolitique pour l’UE : elle pourra en tirer bénéfice si ses États membres et ses citoyens s’en saisissent dans un esprit de coopération et de solidarité, plutôt qu’en se disputant en vain les faveurs d’un partenaire qui devrait demain regarder ailleurs plus encore qu’hier.
[Source: Notre Europe]