Jacques Delors · Enrico Letta · Pascal Lamy · Yves Bertoncini

et les participants à la réunion de notre Comité européen d’orientation 2016

Nous sommes Européens, comme des centaines de millions de nos compatriotes, car nous pensons que l’Europe est notre destin, notre projet et notre espérance.

Nous sommes Européens car nous voulons que nos pays exercent pleinement leur souveraineté face à des défis tels que le changement climatique, l’évasion fiscale, le terrorisme islamiste ou l’agressivité russe.

Nous croyons que c’est en partageant nos souverainetés nationales que nous pouvons mieux défendre nos intérêts communs, en privilégiant la coopération et la solidarité, au lieu de disperser nos forces dans un monde que des États-continents sont appelés à façonner.

Nous prenons acte du souhait de nos amis britanniques d’opter pour une voie solitaire et d’engager une procédure de divorce, tout en souhaitant que des relations étroites soient maintenues avec le Royaume-Uni, aujourd’hui comme dans l’avenir. Nous appelons les autorités nationales et européennes à se concentrer sans attendre sur les nombreux autres défis que doit urgemment affronter l’UE, en soulignant pourquoi nous sommes plus forts ensemble.

Nous sommes Européens car nous avons en partage la démocratie, l’État de droit, l’égalité homme-femme, la protection des minorités, ainsi que le non-recours à la peine de mort : nous devons être fiers de ces principes, qu’il est rare de voir appliquer avec autant d’intensité que sur notre continent. Nous considérons les demandeurs d’asile comme des victimes, non comme des menaces, et nous nous félicitons des efforts réalisés pour qu’un contrôle effectif de nos frontières extérieures permette d’examiner leurs demandes de manière plus ordonnée, tout en renforçant notre sécurité.

Notre Union traduit une communauté de valeurs affirmée par nos traités et dont le respect n’est pas négociable ; elle ne saurait s’accommoder d’une solidarité sélective. Nous sommes préoccupés par le refus de certains États membres d’appliquer les décisions prises en commun concernant les réfugiés et par les dérives politiques constatées dans des pays comme la Pologne et la Hongrie.

Nous sommes Européens car nous sommes liés par un modèle de développement capable de produire environ un quart de la richesse mondiale, tout en s’efforçant de limiter ses émissions de CO2. Nous nous réjouissons que l’UE ait pu entraîner le monde dans la signature de l’accord contre le réchauffement climatique conclu lors de la COP21. L’UE arbore un « drapeau vert » pour nombre de citoyens du monde, et nous pouvons là aussi en être fiers !

Nous sommes attachés à notre économie sociale de marché qui s’efforce de concilier efficacité économique et cohésion sociale comme aucune autre région du monde. Nous sommes conscients des constants efforts d’innovation et de compétitivité qu’il nous faut déployer pour concilier ces deux objectifs cardinaux, qui demeurent indissociables à nos yeux.

Nous sommes Européens parce que notre longue histoire guerrière nous a appris à privilégier le règlement pacifique des différends. Nous n’envoyons pas de soldats se faire tuer sans uniformes dans les pays voisins, ni des jeunes gens se faire exploser dans les lieux publics.

Mais nous savons que le monde n’est pas pacifié et combien notre voisinage est instable en Ukraine et en Russie, en Syrie et en Irak, en Libye et au Sahel. Confrontés à ces menaces, nous devons faire front commun, nous unir pour notre défense et développer notre capacité à coopérer en matière militaire, sans nous en remettre exclusivement à notre allié américain.

Nous sommes Européens même quand nous déplorons que nos interminables crises de copropriétaires absorbent une trop grande part de nos énergies, autour de la survie de notre union monétaire, puis de la crise des réfugiés. Nous constatons que ces crises ont néanmoins suscité de nouvelles avancées bienvenues, comme le Mécanisme européen de stabilité, l’Union bancaire, le Corps européen de garde-frontières ou le Corps européen de solidarité, qui confirment notre capacité à approfondir notre union, fut-ce dans la douleur.

La volonté de faire vivre une « union dans la diversité » sans équivalent dans l’histoire a été une nouvelle fois affirmée par les 27 chefs d’État et de gouvernement lors du récent Sommet de Bratislava. Ils ont utilement fixé des perspectives d’action commune, notamment en matière de coopération policière et judiciaire, de défense et d’investissement.

Il revient désormais à l’ensemble des autorités et citoyens de promouvoir une vision positive de l’Union européenne comme pourvoyeuse d’opportunités et comme protection face aux menaces, et de lui donner ainsi un nouveau souffle dans la perspective du 60ème anniversaire du Traité de Rome.

Nous croyons plus que jamais que l’union fait la force et que l’union est un combat, que nous sommes fermement résolus à poursuivre. Oui, nous sommes Européens, et nous le serons plus encore demain !