Jacques Delors | président fondateur de l’Institut Jacques Delors

António Vitorino | président de l’Institut Jacques Delors

Pascal Lamy | president emeritus de l’Institut Jacques Delors

Enrico Letta | vice-président de l’Institut Jacques Delors

Yves Bertoncini | directeur de l’Institut Jacques Delors

 

Oes Européens sont confrontés à un défi sécuritaire multiforme qu’ils doivent plus que jamais relever
ensemble, quel que soit le verdict du référendum britannique. Il leur appartient de placer leur « sécurité collective » au cœur de la construction européenne, en valorisant leurs progrès récents et en les inscrivant
dans une vision d’ensemble mobilisatrice. Tel est l’objet de ce Mot de l’Institut Jacques Delors.

Ce Mot a également été publié dans la presse sur EurActiv.com. HuffingtonPost.fr. HuffingtonPost.de et paraîtra prochainement sur HuffingtonPost.it et Publico.pt

 

 

  1. (Re)placer la sécurité collective au cœur de la construction européenne

Le voisinage de l’UE est lourd de menaces ayant des répercussions à nos frontières comme sur notre terri­toire : guerre en Syrie, chaos en Libye, terrorisme isla­miste, agressivité russe, etc. Ces menaces suscitent une demande citoyenne de sécurité qui peut engen­drer une tentation de repli si les leaders nationaux et européens semblent perdre le contrôle de la situation et ne démontrent pas suffisamment que « l’union fait la force », y compris en matière sécuritaire.

La construction européenne a pu être initiée parce que les Européens avaient peur pour leur sécurité, menacée par leur propension séculaire à s’entretuer et par l’expansionnisme soviétique : c’est à nouveau sur l’air de « l’hymne à la peur » qu’elle doit aujourd’hui être relancée, dans un contexte marqué par les craintes du changement climatique, de la finance folle, d’un afflux migratoire anarchique, mais aussi et sur­tout par les menaces contre la sécurité des personnes et des biens.

L’aspiration des peuples à la sécurité doit être au cœur d’un agenda qui rassemble l’ensemble des pays de l’UE, exposés à divers titres à des menaces prenant leur source à l’Est ou au Sud de nos frontières, mais aussi sur notre sol, où la plupart des terroristes sont nés. Il va de soi qu’un tel agenda sécuritaire a voca­tion à mobiliser le Royaume-Uni, acteur diplomatique et militaire majeur et qui, bien que non membre de l’es­pace Schengen, participe à la coopération policière et judiciaire européenne compte tenu de son interdépen­dance avec le continent.

L’agenda européen des prochaines semaines offre de nombreuses opportunités d’inscrire la sécurité col­lective au cœur de cette relance de la construction européenne : présentation d’une nouvelle « Stratégie européenne de sécurité » par Federica Mogherini, révision de la stratégie de l’OTAN lors du sommet de Varsovie, projet d’un « Livre blanc » européen sur la défense promu par le conseiller de Jean-Claude Juncker, Michel Barnier, etc. Cette relance semble d’autant plus prometteuse qu’elle peut déjà s’appuyer sur l’utilisation récente de nouveaux outils de sécurité communs, à même d’illustrer concrètement la valeur ajoutée de l’UE aux yeux de ses peuples.

  1. Valoriser l’utilisation des outils européens de sécurité collective

L’activation de la clause d’assistance mutuelle pré­vue par l’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne (TUE) après les attentats parisiens du 13 novembre 2015 traduit la volonté collective des Européens de faire face ensemble à des agressions armées sur le ter­ritoire d’un État membre : elle a notamment conduit à des actions militaires conjointes contre l’État isla­mique, en plus du renforcement de la coopération poli­cière entre les pays les plus exposés.

L’activation des clauses de sauvegarde de l’ac­cord de Schengen a permis le retour temporaire des contrôles aux frontières nationales dans quelques pays de l’UE ; l’utilisation du « mandat d’arrêt européen » a conduit au transfert très rapide de terroristes d’un pays à l’autre ; le durcissement de la législation euro­péenne sur le commerce des armes va compliquer les passages à l’acte ; l’adoption puis la mise en œuvre du système d’enregistrement des passagers aériens (« passenger name record ») dotent les Européens d’un autre précieux outil de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

La création de centres d’enregistrement des réfu­giés et migrants (« hotspots ») en Grèce et en Italie n’a pas seulement traduit une solidarité financière et technique européenne bienvenue : elle conduit aussi à réduire la défiance vis-à-vis de l’efficacité des contrôles effectués aux frontières extérieures de l’es­pace Schengen, y compris pour s’efforcer d’y détecter les terroristes.

L’UE a enfin utilisé d’autres outils à sa disposition pour faire face à l’instabilité de son voisinage : sanc­tions commerciales et financières contre la Russie après son invasion de la Crimée, mise en place d’une solidarité énergétique vis-à-vis des pays d’Europe cen­trale et de l’Ukraine afin de renforcer leur sécurité d’approvisionnement, augmentation de l’aide euro­péenne à des pays comme la Turquie afin qu’ils ren­forcent leur lutte contre la criminalité organisée, etc.

  1. Renforcer l’architecture européenne de sécurité collective

Les autorités nationales et européennes doivent désormais se projeter au-delà des urgences qu’elles ont eu à affronter depuis quelques années afin de pro­mouvoir une vision partagée de l’architecture euro­péenne de sécurité collective, combinant plusieurs piliers complémentaires, sur notre territoire, à nos frontières et dans notre voisinage.

À ces autorités d’œuvrer pour la création d’un « par­quet européen » capable d’agir efficacement pour tra­quer criminels et terroristes, en mobilisant rapide­ment les appareils policiers et judiciaires des États membres ; à elles de promouvoir la pleine coopération des services de police au sein d’un « Europol » ren­forcé et la communication effective des informations détenues par les services nationaux de renseignement, en créant une culture européenne d’échanges complé­mentaire des coopérations bilatérales.

Aux autorités nationales et européennes de réus­sir la transformation engagée de Frontex en véritable « Corps européen de garde-frontières », qui doit être doté de moyens logistiques et humains autonomes et intervenir au-delà même des périodes de crise pour consolider la confiance mutuelle entre États membres.

À elles aussi de mettre davantage en commun leurs moyens militaires pour mieux nous protéger : plus grande solidarité dans le financement des opé­rations européennes extérieures via le mécanisme « Athena » ; utilisation effective des « battles groups » et nouvelles coopérations en matière d’armements via des rapprochements industriels et des commandes conjointes ; une stratégie graduelle visant à la mise en place d’une « coopération structurée permanente » en matière de défense par les États volontaires ; last but not least, augmentation et meilleure coordination des dépenses et investissements militaires, afin d’éviter les duplications et d’améliorer la force de frappe des Européens. Ce sursaut militaire constitue une condi­tion sine qua non pour avoir les moyens de s’engager dans notre voisinage et dans le monde et ne pas laisser notre sécurité dépendre d’alliés américains indispen­sables mais désireux de se désengager, et donc favo­rables sur le principe à l’avènement du « pilier euro­péen » de l’Alliance atlantique.

Enfin, aux autorités nationales et européennes de compléter cette stratégie de sécurité par des accords et partenariats mobilisant les outils traditionnels de l’UE – aide financière, coopération technique, ouver­ture commerciale, etc. – pour ne pas s’en remettre aux seules vertus du « soft power » face aux crises et guerres dans notre voisinage.

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Tous les pays de l’UE ont vocation à contribuer à renforcer la sécurité collective européenne, y compris le Royaume-Uni, qui pourra y participer plus efficace­ment en tant que membre de l’UE. En matière de sécu­rité comme face à bien d’autres défis globaux, David Cameron a en tous cas parfaitement raison de souli­gner que nous sommes « plus forts ensemble » !